Le postulat de mes recherches est l’instabilité. Je m’intéresse aux équilibres tangents, et plus particulièrement, aux géographies insaisissables dans un monde où la norme est au quadrillage. Parcourir des territoires qui soient indomptables. Le glacier, paysage mouvant, est pour moi une forme symbolique qui me permet d’approfondir au-delà d’une composante géographique, une topographie psychique tout aussi instable.

Sortir de l’atelier. Partir à la rencontre de terres aussi vierges que la feuille que je laisse derrière moi. Faire l’expérience du vide, de la solitude physique. Choisir d’avancer dans un environnement hors du temps. Je marche dans un désert de glace. Le sol craque sous mes pas, autour de moi le vide, j’avance dans le brouillard. Le parcours éprouvant, solitaire, me pousse dans mes retranchements et me permet de réveiller une force primitive qui me permet de créer.

L’expérience artistique s’apparente pour moi à une exploration polaire. Elles amènent à dépasser ses/les limites, à braver l’inconnu, à se mettre en danger, et à apprendre à se perdre.

L’exposition  Un monde flottant, conçue pour la galerie Virginie Louvet après un voyage en Islande, me permet de mettre en avant les pionniers du Grand Nord, symbole de « l’aventure » la plus absolue. C’est cette quête d’événements extraordinaires et imprévus

qui aiguille ma démarche. Ma dernière série de dessin au feutre sur papier argentique et deux sculptures ne sont que les témoins de ces expériences extrêmes.

Il est un projet caché dans l’ordre de la nature et il faut le respecter… Une approche anthropogéographique pourrait nous en donner une certaine lisibilité. Un Inuit de Thulé ne siffle pas, ce serait violer la dynamique de l’air qui a sa propre signification. C’est ainsi que, pas à pas, on découvre avec ces chasseurs une géographie sacrée, que leur perception sensorielle particulière permet de saisir. Elle vient de plus haut. Il est en effet une cosmodramaturgie qui est soutenue dans leur pensée par une lecture orale de cent à deux cents mythes. Les recherches les plus récentes des neurologues permettent de conclure qu’il est chez ces peuples des facultés neuronales plus développées que celles dont nous disposons. Leurs dendrites sont constamment à l’affût, ce qui leur permet d’avoir une perception cognitive très subtile dont nous ne disposons hélas ! plus¹⁵. Cette conscience immédiate de réalité extérieure non visible, et dont les artistes contemporains parfois disposent, leur permet de distinguer, sur ces immenses théâtres du grand nord, des lieux d’énergie, et qui sait peut-être? des champs d’impulsion, électriques, magnétiques qui nous échappent.

Jean Malaurie, extrait de L’Allée des baleines, Fayard, coll. « Mille et une nuits », Paris 2003

Giulia Manset est née en 1986. Elle vit et travaille à Paris.

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